Mon cher Jean,
Ma chère Monique,
Voilà donc venu ce moment redouté de ma part et je crois bien aussi de la tienne, de nous dire professionnellement adieu. Treize ans de collaboration plus qu'étroite, ne pouvaient que déboucher soit sur un total désamour, soit sur une amitié quasi inaltérable.
J'aurai eu beaucoup de chance avec mes trois adjoints successifs, le premier m'aura appris avec simplicité et sans détour mon nouveau métier, le second aura été un météore que je soupçonne d'avoir ressenti s'être trouvé dépossédé de son job, d'avoir alors subodoré que nous ne passerions sans doute jamais nos vacances ensemble, et dépité de ne plus pouvoir jouer la même partition, d'avoir pris aussitôt la tangente pour d'autres cieux. Quant au troisième, nous y voilà, c'est le moment de faire les comptes!
Les couples de Direction actuels, nous en savons quelque chose car dans nos fonctions tout finit par transpirer, sont souvent des couples qui peuvent vite devenir infernaux. Je ne citerai personne et tu les connais souvent d'ailleurs bien mieux que moi, car la fonction d'adjoint est loin d'être une sinécure. Je sais des adjoints qui passent une partie de leur temps à se remonter le moral afin de repartir sinon au front, du moins en première ligne. Votre rôle difficile s'il en est,consiste avant tout à être en effet à la croisée de tous les chemins, donc de tous les problèmes. Hiérarchie oblige, vous vous situez d'abord sous la coupe de votre chef d'établissement. Journellement confronté aux problèmes, voire aux humeurs qui des collègues, qui des élèves, qui des parents, qui des personnels de tous bords, votre vie peut vite devenir intenable, car tout merveilleux fusible que vous soyez, vous n'avez pas le droit de fondre ou de disjoncter. Qui plus est, vous vous devez d'encaisser non seulement les coups qui vous sont naturellement destinés, mais aussi, et plus insupportables, ceux adressés au chef d'établissement et qu'il est bien plus commode de décocher à son adjoint préféré. Enfin, il vous faut, au delà, taire vos propres désaccords avec cette hiérarchie, parfois pesante, en allant jusqu'à défendre des points de vue qui ne sont pas forcément les vôtres, si vous ne voulez pas que ce drôle d'attelage, chef et adjoint, n'explose très rapidement. On comprend à partir de là le mal-vivre de cette corporation, peu reconnue, mal considérée, sous-rétribuée ( on a supprimé le sous du sous-directeur mais ces sous disparus ne se sont pas transformés hélas en sous sonnants et trébuchants!!!) et pour terminer là ce joli tableau, on trouve même en son sein des adjoints parfois non soutenus voire désavoués par leur propre chef...On comprend dès lors que les vocations se perdent et que le sacerdoce laïque de l'adjoint ne fasse pas davantage recette que celui de certains religieux. Si j' entrevois peut-être, après Jean-Paul II un remède pour les prêtres, dans l'abandon de leur célibat, pour vous les adjoints, j'ai beau chercher, je ne vois pas, à moins que ce ne soit le chemin inverse qu'il ne leur faille retrouver, dans un retour au célibat???...
Dans ces conditions, dans ce contexte tourmenté et imprévisible, j'en viens à me poser beaucoup de questions: Comment avons-nous su toi et moi, éviter tous ces pièges, comment avons-nous fait pour déjouer toutes ces chausse-trappes, comment avons-nous fait pour rester amis ?La réponse est simple et complexe à la fois.En tentant de parler toujours, je crois d'une seule voix, même et surtout, quand au départ, notre analyse n'était pas toujours aussi identique qu'il eût fallu sur certains problèmes.
Tes qualités , Jean , sont immenses: tu es un homme organisé et... sur le plan matériel, très ordonné: je te voue à ce sujet une admiration sans borne, moi qui ne prends jamais ou presque le temps de faire un peu de ménage dans mon bureau. Quelle chance pour le collège, que je n'ai pas déteint sur toi!!! A ce propos, je lisais hier, un peu par hasard, l'annuaire d'une classe de 5ème d'un collège, disons savoyard, où se racontaient en quelques lignes, élèves et aussi professeurs de la classe dans un diptyque "j'aime et je n'aime pas". Lecture surprenante et instructive: jugez-en, entre autres goûts avoués par l'un de ces professeurs , je rappelle , cela ne se passe pas à Marlioz! " j'aime faire mon jardin et le ménage"...Va pour le jardin, mais pour le ménage!... J'en ai conclu, mon cher Jean, que pour pallier ton départ et pour régler mes problèmes de rangement, peut-être allait-il me falloir songer à recruter de ce côté là. Moi qui me rappelle dans une autre vie avoir été professeur, j'ai sans doute souffert d'insuffisances criardes au moment de ma formation et il paraît rassurant de constater que ce volet de formation soit bien pris en compte désormais au niveau de nos IUFM. Il faudra cependant que je vérifie auprès de Josie !!!
Plus sérieusement, tu es un adjoint sur lequel durant ces treize années, j'ai pu totalement m'appuyer et partant de là qui a permis au collège de se lancer dans nombre d'aventures dévoreuses de temps et d'énergie. Monique a dû plus d'une fois fulminer contre le collège, contre moi, contre la lourdeur des tâches que je te proposais, tâches qui, chaque année, je le reconnais, sont allées en empirant.
Mais commençons par le début de notre collaboration: à peine embarqué sur ce qui aurait pu être notre galère commune et ce qui s'est transformé bien entendu, mais plus tard en une superbe croisière de luxe dans notre beau vaisseau de Marlioz, je t'ai proposé de nous lancer dans une informatisation de nos tâches, car rien ne m'exaspère autant que d'avoir à refaire une copie sur laquelle j'ai déjà transpiré. Tu as relevé le défi au delà de ce que j'espérais et ce que tu as su mettre en place par exemple au niveau du Carrefour des Métiers, est tout simplement exemplaire, remarquable et désormais remarqué au niveau Région puisque ce travail vient d'être, comment dire, labellisé par la Région Rhône Alpes. Pour preuve, nous venons d'obtenir des crédits intéressants sur cette belle opération. Voilà pour une fois, à ce niveau, une reconnaissance très officielle, même si elle s'avère tardive, de ton travail et de celui de ton assistante privilégiée sur cette opération, Bernadette, qui me fait personnellement grand plaisir.
Je t'aurais ensuite amené, bien entendu avec d'autres, à prendre le cap sur nombre de projets de toutes sortes, et toujours, je dois le souligner, tu as répondu présent. Certes, avant d'accepter ce ou ces nouveaux challenges, il t'arrivait d'abord, en bon méridional, de pester contre notre administration ou tel ou tel de nos gouvernants du moment, mais une fois exhalée cette grogne passagère, hygiénique et parfois salutaire, nous repartions sous spi vers le grand large, décidés, et somme toute, heureux d'essayer d'innover. Les mais des Arts avec Maurice, c'était toi,Marlioz Voyages, c'était toi, Marlioz Soirées logistique "Théâtre et Musique", c'était toi, les PAE avec l'ensemble des collègues c'était toi, le suivi des élèves en difficulté, c'était toi avec cette équipe de bénévoles qui ont tenu à être présents ce soir autour de Mr Robinet , l' organisation du suivi médical, c'était toi avec ton inséparable moitié, Monique, qui malgré la peau de chagrin des moyens accordés à la santé dans notre monde scolaire, a toujours su chercher à privilégier, à tes côtés, les actions menées pour le bien de nos élèves, par l'équipe de santé scolaire. Les "pailles" à passer à nos chers petits anges, qui par overdose pédagogique, craquaient quelques fois, malgré l'incroyable patience de leurs chers enseignants, c'était encore toi le plus souvent. Enfin, le quotidien, et Dieu sait combien il peut être usant à gérer, c'était encore toi...Ce qui fait que ce soir, je me rappelle une boutade de Georges Cambres, disant avec humour à Madame Odelin: "on a formé cette équipe de direction, interdiction d'en changer tant que nous serons là".
Mon cher Jean, si j'ai pu sentir à certains détours des conversations que nous avions sur des sujets très divers, un certain regret parfois de ne pas avoir labouré sur les mêmes terres et creusé les mêmes sillons que feu ton père, médecin et chef de clinique, nous sommes nombreux à être persuadés que tu ne dois regretter aucunement d'avoir délaissé une possible carrière médicale pour entrer dans l'arène Enseignement où, aussi bien comme professeur que comme personnel de direction , tu as su utiliser à merveille tes qualités de pédagogue, de grand communicateur et d' excellent organisateur. Tu peux être fier du chemin ainsi emprunté et parcouru.
Nous voici donc au bout de notre aventure professionnelle commune. Tu te prépares avec Georges justement à boucler tes valises et à retourner vers le midi, la chaleur et le soleil qui te manquent tant que tu les as toujours gardés sous ton accent inimitable. Jean, tu vas me manquer, je te le dis très simplement. Il va me falloir me remettre en question dès cet été et m'adapter à un nouveau regard et à une nouvelle façon de faire ou d'aborder les problèmes. Mais même si mon tempérament ne me rend pas trop bileux, je sais que se tourne ainsi une belle et longue page de ma vie professionnelle. Rien ne semblait devoir naturellement nous rapprocher: moi le Lorrain né au pays de l'Armagnac, trimballé de Lorraine en Provence où nous aurions pu nous croiser, puis émigré en Savoie et toi l' homme du midi que tu es transplanté depuis bien plus longtemps que moi à Aix. Nos origines, nos expériences et nos parcours ne nous prédisposaient apparemment pas à collaborer aussi longuement et pleinement. Le hasard, Madame Botti à l'Inspection Académique, une nomination tardive l'année précédente pour moi, le congé de longue durée de Madame Leblond qui se termine en fin de vacances scolaires et libère après le premier mouvement le poste de Marlioz, l'I.A. qui balance un an plus tard entre toi et Vallier au moment de nommer un adjoint à Marlioz et un autre à Garibaldi, quel concours de circonstances pour nous retrouver. Les superstitieux , les fatalistes ou les latinistes plus ou moins distingués évoqueront le "fatum" , le destin!!! Mais peu importe, c'est peut-être ainsi plus simplement que se forment les couples durables et solides , ceux capables de surmonter les écueils et de se fortifier au gré des vents voire des tempêtes, je n'apprendrai rien ainsi au solide navigateur au grand large que tu sais être.
Durant ces treize années passées ensemble sur le pont du vaisseau Marlioz, j'aurai pris plaisir à travailler avec toi et ce soir je suis ému, très ému à l'idée de te voir délaisser le poste de pilotage, descendre à quai poser ton sac de marin et nous laisser reprendre le large sans toi. Les grains à affronter n'auront plus le même sel, les embellies n'auront plus la même saveur, mais je sais que au fond de nous, notre amitié qui a résisté à bien plus qu'un éloignement physique et géographique , restera intacte et solide à tout jamais.
Jean et Monique, au nom de tous les élèves, personnels et amis du Collège, merci pour tout, nous vous souhaitons à tous deux une excellente retraite.Je vous embrasse de tout mon coeur.