Allocution de M. Henri DALIX lors des obsques de
Georges FAURE, ancien professeur au Collge Marlioz
et au LycŽe dÕAix-les-bains.
Trs affectŽ par le dŽcs de son frre, chirurgien connu et reconnu ˆ Grenoble, Monsieur FAURE, notre collgue et ami, atteint par lÕhorrible et terrible maladie, a su faire face, avec courage contre le mal, entourŽ par son Žpouse Anne-Marie, par sa fille Claudine, et par quelques compagnons de vie.
Nous avons eu la surprise de dŽcouvrir un jour, quÕil semblait trouver un rŽconfort, un dŽfi au mal, un moment de plaisir, en se rŽcitant pour lui-mme, ˆ voix faible, des pomes qui avaient marquŽ sa vie. CÕest ainsi quÕil reprit une partie des vingt-quatre sixtains du ÇCimetire marinÈ, ce cŽlbre pome de Paul VALƒRY, surnommŽ Çle pote de la connaissanceÈ, pome moins rŽellement obscur que difficile ˆ cause de lÕabstraction du sujet lui-mme. Monsieur FAURE, professeur de lettres classiques et de philosophie apprŽciait tout particulirement cet auteur, et sa famille a souhaitŽ que nous lisions ce jour quelques vers de ce pome, choisis en collaboration avec Anne-Marie GRILLéRE.
Monsieur FAURE, homme rigoureux sans jamais exclure lÕhumour et le sourire, exigeant pour lui-mme et pour ses Žlves auxquels il dispensait le savoir, avec sa grande culture, y ajoutant le savoir-faire de qualitŽ, et ne nŽgligeant jamais le savoir-tre et lÕŽducation qui faisaient souvent dŽfaut chez les Žlves du collge et du lycŽe. Peut-on rendre un meilleur hommage ˆ sa mission dÕenseignant, quÕavouer, avec dÕautres, amis, collgues, parents dÕŽlves, que nous aurions apprŽciŽ avoir eu ce professeur au cours de nos Žtudes ?
Je vous propose donc ce texte de Paul VALƒRY :
Ce
toit tranquille
Quel
pur travail
Stable
trŽsor
Le
vent se lve.
Ç Voir mourir les siens, ses amis, est un dŽchirement ; mais enfin cette souffrance nÕest rien dÕautre que la rgle. Rompre avec les choses rŽelles nÕest rien. Mais avec les souvenirs le cÏur se brise ˆ la sŽparation des songesÈ Žcrivait Chateaubriand.
8 juin 2013
Henri DALIX
J'ai
repris le pome
de Paul VALƒRY en entier pour ceux
qui aimerait le relire.
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(DB)
Le
cimetire
marin
Ce
toit tranquille, o marchent des colombes,
Entre
les pins palpite, entre les tombes;
Midi
le juste y compose de feux
La
mer, la mer, toujours recommencŽe
O
rŽcompense aprs une pensŽe
Qu'un
long regard sur le calme des dieux!
Quel
pur travail de fins Žclairs consume
Maint
diamant d'imperceptible Žcume,
Et
quelle paix semble se concevoir!
Quand
sur l'ab”me un soleil se repose,
Ouvrages
purs d'une Žternelle cause,
Le
temps scintille et le songe est savoir.
Stable
trŽsor, temple simple ˆ Minerve,
Masse
de calme, et visible rŽserve,
Eau
sourcilleuse, Oeil qui gardes en toi
Tant
de sommeil sous une voile de flamme,
O
mon silence! . . . ƒdifice dans l'‰me,
Mais
comble d'or aux mille tuiles, Toit!
Temple
du Temps, qu'un seul soupir rŽsume,
Ë
ce point pur je monte et m'accoutume,
Tout
entourŽ de mon regard marin;
Et
comme aux dieux mon offrande suprme,
La
scintillation sereine sme
Sur
l'altitude un dŽdain souverain.
Comme
le fruit se fond en jouissance,
Comme
en dŽlice il change son absence
Dans
une bouche o sa forme se meurt,
Je
hume ici ma future fumŽe,
Et
le ciel chante ˆ l'‰me consumŽe
Le
changement des rives en rumeur.
Beau
ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
Aprs
tant d'orgueil, aprs tant d'Žtrange
OisivetŽ,
mais pleine de pouvoir,
Je
m'abandonne ˆ ce brillant espace,
Sur
les maisons des morts mon ombre passe
Qui
m'apprivoise ˆ son frle mouvoir.
L'‰me
exposŽe aux torches du solstice,
Je
te soutiens, admirable justice
De
la lumire aux armes sans pitiŽ!
Je
te tends pure ˆ ta place premire,
Regarde-toi!
. . . Mais rendre la lumire
Suppose
d'ombre une morne moitiŽ.
O
pour moi seul, ˆ moi seul, en moi-mme,
Auprs
d'un coeur, aux sources du pome,
Entre
le vide et l'ŽvŽnement pur,
J'attends
l'Žcho de ma grandeur interne,
Amre,
sombre, et sonore citerne,
Sonnant
dans l'‰me un creux toujours futur!
Sais-tu,
fausse captive des feuillages,
Golfe
mangeur de ces maigres grillages,
Sur
mes yeux clos, secrets Žblouissants,
Quel
corps me tra”ne ˆ sa fin paresseuse,
Quel
front l'attire ˆ cette terre osseuse?
Une
Žtincelle y pense ˆ mes absents.
FermŽ,
sacrŽ, plein d'un feu sans matire,
Fragment
terrestre offert ˆ la lumire,
Ce
lieu me pla”t, dominŽ de flambeaux,
ComposŽ
d'or, de pierre et d'arbres sombres,
O
tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;
La
mer fidle y dort sur mes tombeaux!
Chienne
splendide, Žcarte l'idol‰tre!
Quand
solitaire au sourire de p‰tre,
Je
pais longtemps, moutons mystŽrieux,
Le
blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
ƒloignes-en
les prudentes colombes,
Les
songes vains, les anges curieux!
Ici
venu, l'avenir est paresse.
L'insecte
net gratte la sŽcheresse;
Tout
est bržlŽ, dŽfait, reu dans l'air
A
je ne sais quelle sŽvre essence . . .
La
vie est vaste, Žtant ivre d'absence,
Et
l'amertume est douce, et l'esprit clair.
Les
morts cachŽs sont bien dans cette terre
Qui
les rŽchauffe et sche leur mystre.
Midi
lˆ-haut, Midi sans mouvement
En
soi se pense et convient ˆ soi-mme
Tte
complte et parfait diadme,
Je
suis en toi le secret changement.
Tu
n'as que moi pour contenir tes craintes!
Mes
repentirs, mes doutes, mes contraintes
Sont
le dŽfaut de ton grand diamant! . . .
Mais
dans leur nuit toute lourde de marbres,
Un
peuple vague aux racines des arbres
A
pris dŽjˆ ton parti lentement.
Ils
ont fondu dans une absence Žpaisse,
L'argile
rouge a bu la blanche espce,
Le
don de vivre a passŽ dans les fleurs!
O
sont des morts les phrases familires,
L'art
personnel, les ‰mes singulires?
La
larve file o se formaient les pleurs.
Les
cris aigus des filles chatouillŽes,
Les
yeux, les dents, les paupires mouillŽes,
Le
sein charmant qui joue avec le feu,
Le
sang qui brille aux lvres qui se rendent,
Les
derniers dons, les doigts qui les dŽfendent,
Tout
va sous terre et rentre dans le jeu!
Et
vous, grande ‰me, espŽrez-vous un songe
Qui
n'aura plus ces couleurs de mensonge
Qu'aux
yeux de chair l'onde et l'or font ici?
Chanterez-vous
quand serez vaporeuse?
Allez!
Tout fuit! Ma prŽsence est poreuse,
La
sainte impatience meurt aussi!
Maigre
immortalitŽ noire et dorŽe,
Consolatrice
affreusement laurŽe,
Qui
de la mort fais un sein maternel,
Le
beau mensonge et la pieuse ruse!
Qui
ne conna”t, et qui ne les refuse,
Ce
cr‰ne vide et ce rire Žternel!
Pres
profonds, ttes inhabitŽes,
Qui
sous le poids de tant de pelletŽes,
ætes
la terre et confondez nos pas,
Le
vrai rongeur, le ver irrŽfutable
N'est
point pour vous qui dormez sous la table,
Il
vit de vie, il ne me quitte pas!
Amour,
peut-tre, ou de moi-mme haine?
Sa
dent secrte est de moi si prochaine
Que
tous les noms lui peuvent convenir!
Qu'importe!
Il voit, il veut, il songe, il touche!
Ma
chair lui pla”t, et jusque sur ma couche,
Ë
ce vivant je vis d'appartenir!
ZŽnon!
Cruel ZŽnon! ZŽnon d'ælŽe!
M'as-tu
percŽ de cette flche ailŽe
Qui
vibre, vole, et qui ne vole pas!
Le
son m'enfante et la flche me tue!
Ah!
le soleil . . . Quelle ombre de tortue
Pour
l'‰me, Achille immobile ˆ grands pas!
Non,
non! . . . Debout! Dans l're successive!
Brisez,
mon corps, cette forme pensive!
Buvez,
mon sein, la naissance du vent!
Une
fra”cheur, de la mer exhalŽe,
Me
rend mon ‰me . . . O puissance salŽe!
Courons
ˆ l'onde en rejaillir vivant.
Oui!
grande mer de dŽlires douŽe,
Peau
de panthre et chlamyde trouŽe,
De
mille et mille idoles du soleil,
Hydre
absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui
te remords l'Žtincelante queue
Dans
un tumulte au silence pareil
Le
vent se lve! . . . il faut tenter de vivre!
L'air
immense ouvre et referme mon livre,
La
vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous,
pages tout Žblouies!
Rompez,
vagues! Rompez d'eaux rŽjouies
Ce
toit tranquille o picoraient des focs!
Paul Valery